Pour les articles homonymes, voir Louis-Mathieu Molé (homonymie).
Le comte
Mathieu Louis Molé est un homme politique français né à
Paris le
24 janvier 1781 et mort au château de Champlâtreux (
Seine-et-Oise) le
23 novembre 1855. Il fut ministre de la Justice sous l'
Empire, de la Marine et des Colonies sous la Restauration, des Affaires étrangères et président du Conseil (
1836-
1837) sous la
Monarchie de Juillet.
Biographie
Jeunesse
Fils d'Édouard François Mathieu Molé, conseiller au
Parlement de Paris qui périt sur l'échafaud révolutionnaire, et de sa femme, Marie-Louise de Lamoignon, Louis-Mathieu Molé passa avec sa mère ses premières années en
Suisse et en
Angleterre. De retour en France en
1796, il termina ses études classiques.
Il épousa le 18 août 1798, à Méry-sur-Oise Charlotte-Joséphine de La Live (25 mai 1781 Paris- 10 juin 1845 Paris). Elle est la fille d'Alexis Janvier Lalive de La Briche et d' Adélaïde Prévost mais aussi la petite fille de Louis Denis Lalive de Bellegarde et la nièce de la comtesse d'Houdetot.
Le couple eut deux filles, Clotilde et Elisabeth, mariées à deux frères, Fernand et Hubert de La Ferté-Meun, et une unique petite-fille, Clotilde de La Ferté-Meun, qui épousera, le 3 mai 1851 Jules Charles Victurnien de Noailles (1826-1895), 4e Duc d'Ayen puis 7e Duc de Noailles.
Sous l'Empire
Il avait vingt-six ans lorsqu'il débuta en littérature par ses
Essais de morale et de politique (
1806), qui eurent deux éditions dont la seconde fut accompagnée d'une vie de Mathieu Molé (1584-1656), Premier président du
Parlement de Paris sous la
Fronde et ancêtre de l'auteur. Cet ouvrage, qui renfermait un éloge outré des institutions impériales, fut diversement jugé. Fontanes, avec qui Molé s'était lié dans le salon de M
me de Beaumont, où il avait également rencontré Chateaubriand et
Joubert, le traita avec beaucoup de bienveillance dans le
Journal de l'Empire et présenta le jeune écrivain à
Napoléon Ⅰer.
Molé connut une ascension exceptionnellement rapide : il fut nommé auditeur au Conseil d'État (18 février 1806) avant d'y être admis comme maître des requêtes (juin 1806). Rapporteur au Conseil d'État de la loi d'exception que l'Empereur voulait édicter à l'encontre des juifs, Molé trouva le projet incompatible avec les principes égalitaires de la Révolution française et préconisa une reconnaissance officielle de la religion juive, à la suite de quoi l'Empereur le nomma commissaire impérial au Sanhédrin israélite. Il fut ensuite préfet de la Côte-d'Or (novembre 1806-1809), conseiller d'État (1809), directeur général des Ponts et Chaussées (1809), comte de l'Empire (29 décembre 1809) et commandeur de l'Ordre de la Réunion.
Molé était détesté de ses subordonnés qui lui reprochaient sa morgue, et souvent décrié pour son ignorance des questions techniques et son manque d'expérience administrative, mais il était extrêmement en faveur auprès de l'Empereur. Le 12 novembre 1813, ce fut lui qui fut chargé de proposer au Sénat d'attribuer à l'Empereur, par un Sénatus-consulte, la nomination du président du Corps législatif sans présentation de candidat. Le 20 novembre 1813, il succéda à Régnier, duc de Massa dans les fonctions de grand juge, ministre de la Justice, qu'il exerça jusqu'au 2 avril 1814. Avec les autres ministres, il accompagna l'impératrice Marie-Louise lorsqu'elle se rendit à Blois.
Sous les deux Restaurations
Il se tint à l'écart de la vie publique sous la Première Restauration, et ce ne fut que comme membre du conseil municipal de Paris qu'il signa, quelques jours avant le
20 mars 1815, l'adresse présentée au roi et dans laquelle se trouvait la phrase : « Que nous veut cet étranger pour souiller notre sol de son odieuse présence ? » Napoléon ne lui en tint pas rigueur et, sous les
Cent-Jours, il retrouva sa place au Conseil d'État ainsi que ses fonctions de directeur général des Ponts et Chaussées, ayant prudemment refusé les portefeuilles de la Justice, de l'Intérieur ou des Affaires étrangères que lui offrait l'Empereur pour se contenter de ce poste peu compromettant. Il refusa de signer la déclaration du Conseil d'État du
25 mai contre les Bourbons ce dont, vivement blâmé par Napoléon, il s'excusa en faisant valoir « qu'il n'avait pas cru pouvoir s'associer à un manifeste contenant ce blasphème politique : que Napoléon tenait sa couronne du voeu et du choix du peuple français ». Napoléon le nomma
pair de France le
2 juin, mais Molé partit pour les eaux de
Plombières, écrivit de là pour s'excuser de ne pas siéger et attendit la suite des événements.
Revenu à Paris après Waterloo, il protesta auprès de Louis XVIII de son « inaltérable fidélité », conserva son fauteuil au Conseil d'État et fut renommé directeur général des Ponts et Chaussées (9 juillet 1815) ainsi qu'à la Chambre des pairs (17 août 1815). Dans le procès du maréchal Ney, il vota pour la peine de mort. Certains biographes affirment cependant qu'il usa ensuite de son influence pour soustraire d'autres victimes à la Terreur blanche.
Le maréchal Gouvion Saint-Cyr étant passé du ministère de la Marine à celui de la Guerre, le comté Molé fut nommé ministre de la Marine et des Colonies le 12 septembre 1817. Il conserva ce portefeuille jusqu'au 28 décembre 1818. Il fut notamment chargé de présenter à la Chambre des pairs, dans la session de 1818, le projet de loi sur la liberté de la presse. Il quitta le pouvoir avec le duc de Richelieu lors de la dislocation partielle du cabinet consécutive aux élections de La Fayette, Manuel et Benjamin Constant. Il siégea dès lors à la Chambre des pairs avec les royalistes constitutionnels et combattit plusieurs fois à la tribune les opinions des ultras. Ainsi, à la séance du 28 mars 1826, il parla le premier contre le rétablissement du Droit d'aînesse, invoquant les intérêts moraux de la famille et les intérêts financiers de l'État.
Sous la monarchie de Juillet
Après la
Révolution de 1830, le comte Molé fut appelé dès le
11 août 1830, sur la suggestion du
duc de Broglie, au ministère des Affaires étrangères dans le premier ministère du règne de Louis-Philippe Ier. Sans expérience de la diplomatie, mais grand seigneur, doué des manières de la fonction et partisan de la paix, il travailla à faire reconnaître le nouveau régime par les puissances étrangères. Il adopta, non sans hésitation, le principe pacifique, cher à
Louis-Philippe, de non-intervention. Mais, en raison de son impopularité et de différends avec ses collègues, il ne fut pas maintenu dans le ministère Laffitte le
2 août 1830.
Lorsque le duc de Broglie démissionna du ministère des Affaires étrangères le 1er avril 1834, Thiers suggéra au roi de faire appel à Molé pour lui succéder, mais Guizot, qui se jugeait affaibli par le départ de son ami du ministère et considérait que l'entrée de Molé au gouvernement l'affaiblirait encore davantage, s'y opposa, ce dont Molé lui voulut beaucoup.
Chargé de former un nouveau cabinet le 6 septembre 1836, il reprit le portefeuille des Affaires étrangères avec la présidence du Conseil, et resta en place jusqu'au 30 mars 1839. Au premier rang des difficultés dont Thiers lui laissait l'héritage, il trouva la question suisse et l'Affaire Conseil. Persuadé qu'il n'y avait rien de vrai dans la mission d'espionnage attribuée à Conseil, et que les protestations de la diète helvétique contre le rôle de la France et de son roi n'étaient qu'une trame ourdie par les réfugiés pour perdre l'ambassadeur français, Molé n'hésita pas à interrompre toute relation diplomatique avec la suisse, et la querelle se trouva apaisée presque aussitôt, la Suisse n'ayant pas persisté dans ses réclamations.
Le complot de Louis-Napoléon Bonaparte et les attentats sans cesse renouvelés contre la vie du roi vinrent bientôt susciter de nouvelles difficultés au ministère, dont l'un des premiers actes avaient été l'élargissement des anciens ministres de Charles X.
Molé eut enfin à lutter contre la coalition formée pour le renverser et animée par Thiers et par Guizot. En 1837, Thiers engagea la lutte au sujet de l'Espagne : il s'efforça de montrer que le rôle du président du Conseil à l'égard de ce pays n'avait ni éclat, ni grandeur ; que les destins de la monarchie constitutionnelle en France étaient liés au maintien du trône d'Isabelle II en Espagne, contre les menées absolutistes de don Carlos ; et que notre alliance avec le Royaume-Uni nous commandait d'intervenir dans la péninsule ibérique. Molé opposa à ces considérations l'élasticité des termes dans lesquels le traité de quadruple alliance était rédigé, les inconvénients d'une politique d'aventures et les hésitations que son rival avait montrées, sur cette même affaire espagnole, lorsque lui-même était aux affaires. Cette argumentation emporta la conviction de la Chambre et permit au cabinet de passer cette première escarmouche.
À la suite du procès des associés de Louis-Napoléon Bonaparte dans sa tentative de soulèvement de Strasbourg, Molé imagina tout d'abord de faire accorder au ministère le droit d'éloigner de Paris tout individu dangereux, mais dut, non sans humeur, abandonner ce projet sur les instances de Duvergier de Hauranne ; il présenta alors trois projets de loi : le premier, dit « de disjonction », prévoyait que lorsque les crimes prévus par certaines dispositions déterminées auraient été commis conjointement par des civils et des militaires, les premiers seraient jugés normalement par la cour d'assises, mais que les seconds seraient traduits devant le conseil de guerre ; le second établissait un Bagne à l'île Bourbon pour recevoir les déportés politiques ; le troisième menaçait de la réclusion quiconque ne révélerait pas un complot formé contre la vie du roi dont il aurait eu connaissance. Dans le même temps, le gouvernement présentait un projet de loi d'Apanage pour le duc de Nemours, ainsi que deux autres tendant l'un à augmenter d'un million le revenu du duc d'Orléans et l'autre à constituer une dot d'un million au profit de la princesse Louise, devenue reine des Belges.
La loi de disjonction suscita une vive opposition parlementaire. Dupin aîné l'attaqua avec une verve mordante, qu'appuyèrent Delespaul, de Golbery, Nicod. Lamartine défendit le projet, mais Chamaraule, Parant, Moreau (de la Meurthe), Persil, Chaix d'Est-Ange, Berryer le combattirent. En définitive, la loi fut repoussée par 211 voix contre 209.
Pourtant, le cabinet tint bon et la loi d'apanage fut présentée. Celle-ci ne suscita d'abord pas de difficulté dans les bureaux de la Chambre, mais provoqua une tempête lorsqu'elle fut connue du public. Cormenin rédigea un de ces pamphlets venimeux dont il s'était fait la spécialité. Cette crise amena la chute du premier ministère Molé.
Après plusieurs semaines de crise ministérielle, qui montrèrent l'impossibilité de mettre sur pied une combinaison de rechange, Molé fut chargé de se succéder à lui-même en constituant un nouveau cabinet qui prit ses fonctions le 15 avril 1837. Le gouvernement fut contraint de retirer le projet d'apanage du duc de Nemours mais obtint, dès le 22 avril, l'adoption de ceux concernant la dotation du duc d'Orléans et la dot de la reine des Belges. Molé négocia également le mariage du duc d'Orléans avec la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin.
Jugeant sa majorité insuffisamment solide, Molé obtint de Louis-Philippe, le 30 octobre 1837, la dissolution de la Chambre des députés. Mais les élections du 24 novembre ne répondirent pas à ses voeux. La discussion de l'adresse de la chambre nouvelle remit sur le tapis l'exécution du traité de la quadruple alliance et amena de nouveaux débats entre Molé et Thiers. Les diverses oppositions redoublaient d'ardeur contre le cabinet : une polémique engagée dans la presse les décida à se concerter pour le renverser.
Louis-Philippe, qui avait de l'amitié, et même de la tendresse pour Molé, l'exhortait à tenir bon, le réconfortait constamment. En août 1838, il lui fit l'honneur insigne de se rendre chez lui au château de Champlâtreux et d'y présider un conseil des ministres. La scène fut immortalisée par un tableau d'Ary Scheffer que le roi offrit à son chef de gouvernement.
La coalition employa toute l'année 1838 à préparer son offensive pour la session de 1839. La discussion de l'adresse donna lieu à un combat acharné opposant surtout Molé à Guizot. Cette lutte grandit singulièrement le président du Conseil dont la défense étonna à la fois ses adversaires et ses amis. Molé parvint à faire amender le projet d'adresse préparé par la coalition mais, le jour même du vote (8 mars), il remit sa démission au roi. Le ministère se retira le 30 mars 1839 lorsque fut connu le résultat des nouvelles élections législatives, qui lui étaient défavorable.
Molé s'éloigna dès lors du premier plan de la vie politique. Après avoir été battu, avec Victor Hugo, par Dupaty, il fut élu à l'Académie française le 20 février 1840 par 30 voix sur 31 votants en remplacement de l'archevêque de Paris, Mgr de Quélen, le même jour où Victor Hugo échouait contre Flourens ; il fut reçu le 30 décembre suivant par André Dupin. Il vota pour Victor Hugo, mais il fut hostile à Alfred de Vigny ; étant chargé de répondre au discours de réception de ce dernier, le 29 janvier 1846, il prononça un discours aigre-doux. Il reçut également Tocqueville et Vitet.
En 1844, Adolphe Crémieux ayant fait voter par la Chambre qu'« aucun membre du parlement ne pourra[it] être adjudicateur ou administrateur dans les compagnies de chemins de fer auxquelles des concessions seraient accordées », Molé, qui était président du conseil d'administration de la Compagnie de l'Est, se trouva visé : « Je leur jetterai au nez tous les chemins de fer passés, présents et futurs », écrivit-il à Barante.
Son nom fut plusieurs fois mis en avant dans plusieurs crises et, en février 1848, Louis-Philippe le chargea, mais en vain, de former un ministère pour tenter de sauver la monarchie de Juillet.
Sous la Deuxième République
Après la Révolution de 1848, le comte Molé fut porté candidat à l'Assemblée constituante par les « anciens partis » dans le département de la Gironde en remplacement de Lamartine qui avait opté pour la
Seine. Élu le
17 septembre 1848, il siégea dans les rangs de la droite, dont il fut l'un des chefs. Sans prendre souvent la parole, il n'en eut pas moins d'influence. Il vota contre l'amendement
Grévy sur la présidence de la République, contre le droit au travail, pour l'ensemble de la Constitution, pour la proposition Rateau, contre l'amnistie, pour l'interdiction des clubs, pour les crédits de l'expédition de Rome, contre la demande de mise en accusation du président et de ses ministres.
En vue de l'élection présidentielle du 10 décembre 1848, il avait favorisé ouvertement la candidature du général Cavaignac : « Il a sauvé la nation, qui ne pourra jamais l'oublier », déclarait-il à la tribune le 26 octobre. Rallié ensuite au gouvernement de Louis-Napoléon Bonaparte, il soutint à l'Assemblée législative, où il fut élu le 13 mai 1849 par le département de la Gironde toutes les mesures qui signalèrent l'accord du pouvoir exécutif et de la majorité : il appuya l'expédition de Rome, la Loi Falloux sur l'enseignement, fut membre de la commission des dix-sept qui prépara la loi du 31 mai sur le Suffrage universel, mais se sépara du prince-président quand la politique de l'Élysée devint contraire aux intérêts monarchiques. Il se prononça contre le coup d'État du 2 décembre 1851 et fit partie des représentants qui se réunirent à la mairie du Xe arrondissement pour élever une protestation.
Rentré dans la vie privée, il mourut d'une attaque d'apoplexie le 23 novembre 1855 dans son château de Champlâtreux.
Le comte Molé avait été conseiller général de Seine-et-Oise. Il était depuis le 17 octobre 1837 grand-croix de la Légion d'honneur.
Jugements
- « Il fit une carrière de larbin politique, plat comme une limande devant ses maîtres et gonflé d'une venimeuse vanité pour ses subordonnés. À sa décharge, il faut dire que ses ancêtres avaient, dans l'ensemble, fait preuve d'un caractère comparable sous l'Ancien Régime. » (Alfred Fierro, André Palluel-Guillard, Jean Tulard, Histoire et dictionnaire du Consulat et de l'Empire, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1995, p. 959 - ISBN 2-221-05858-5)
- « Un jugement droit, une élocution sans relief, mais suffisante et sobre, beaucoup de tenue, de la présence d'esprit et du sang-froid, de l'habileté dans le maniement des hommes, tout ce que donne l'habitude des grandes relations, l'expérience des affaires, une politique apprise à l'école de l'Empire, et par conséquent le goût du despotisme, mais avec cela une facilité singulière à se plier au joug des circonstances, peu d'élévation dans les vues, nulle hardiesse dans l'exécution, un amour-propre inquiet et trop aisément irritable : voilà ce que M. Molé avait apporté aux affaires en qualités et en défauts. » (cité par le Dictionnaire des parlementaires français)
Chronologies transverses
Précédé par | Louis-Mathieu_Molé | Suivi par |
---|
Laurent de Gouvion-Saint-Cyr | Pierre-Barthélémy Portal d'Albarèdes | Adolphe Thiers
| Duc de Dalmatie | François Guizot
| Précédé par Hyacinthe-Louis de Quélen | Fauteuil 34 de l’Académie française1840-1855 | Suivi par Alfred de Falloux | RéférencesSources- Alfred Fierro, André Palluel-Guillard, Jean Tulard, Histoire et dictionnaire du Consulat et de l'Empire, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1995, p. 959 - ISBN 2-221-05858-5
- « Louis-Mathieu_Molé », dans Adolphe Robert, Edgar Bourloton et Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français (1789-1891), XIXe siècle [détail édition](Wikisource)
- Jacques-Alain de Sédouy, "Le Comte Molé ou la séduction du pouvoir", Perrin, 1994, 270 pages avec cahier d'illustrations.
Notes----
|
|
|